Le congrès de Bamako, ou la naissance du RDA/Introdution générale
Pierre Kipré
Le congrès de Bamako
ou la naissance du RDA
Paris. Editions Chaka. 1962. 190 p.
Coll. “Afrique Contemporaine” dirigée par Ibrahima Baba Kaké
Introduction générale
Tant pour les classes politiques africaines d’expression française que pour nombre d’historiens, le grand rassemblement de foules et de délégués à Bamako, à la mi-Octobre 1946, constitue un moment décisif de l’évolution politique des Colonies françaises d’Afrique Noire. Qu’il s’agisse des circonstances de la tenue du Congrès ou de ses résultats, des discussions ou de l’atmosphère qui y prévaut, qu’il s’agisse des individualités qui s’y affirment ou des mouvements de foules dont Bamako est le théâtre à cette époque, l’imagerie populaire et le souvenir de ces heures interpellent l’art, la science et le talent de l’historien ou du conteur.
De colloques en symposiums, de thèses inédites en manuels scolaires et ouvrages de vulgarisation, de témoignages particuliers en discours officiels, des avis sont émis sur tel point particulier de ce Congrès, sur le portrait de tel leader. Un examen plus attentif et synthétique de ce qui s’est passé sur les bords du Niger est aujourd’hui possible. Grâce à l’importante documentation déjà rassemblée, notamment à Paris au Centre de Recherche et de Documentation Africaine (C.R.D.A.) dirigé par Mme Claude Gérard et à Abidjan surtout. Dernier bastion du RDA, la Côte d’Ivoire vit toujours à l’heure du mouvement lancé à Bamako; et la Fondation Houphouët-Boigny possède des trophées. discours, documents écrits, presse, témoignages oraux sur bandes magnétiques (près de mille cassettes enregistrées par des chercheurs professionnels entre 1976 et 1986). Ces sources peuvent donc permettre une approche plus intime encore de ce sujet, en se situant à la fois dans la logique des évènements et par rapport aux questionnements de notre époque, quarante-deux années après le Congrès de Bamako.
Car, l’idée de raconter cette histoire n’a pas simplement un intérêt documentaire. L’Afrique a-t-elle vraiment rendez-vous avec l’Histoire à Bamako ? Après le Congrès de Manchester où est exalté l’idéal panafricain des intellectuels noirs, celui de Bamako est-il le moment précieux d’un panafricanisme plus populaire et plus directement engagé dans la lutte anticoloniale ? Quelle est la nature réelle des espoirs manifestés alors et à quels résultats aboutissent les débats de Bamako ? Bref, le Congrès de Bamako est-il plus un mythe de l’imagerie nationaliste et anticolonialiste que le sommet d’une lame de fond qui secoue l’Afrique Noire française au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale ?
Un « enfant de l’indépendance », jeune étudiant de vingt-deux ans, se demandait, il y a peu, si la référence constante au Congrès de Bamako dans les discours officiels de la classe politique ivoirienne ne cachait pas la volonté de créer un mythe commode et facile, à partir d’un évènement somme toute banal de l’histoire de la colonisation. Un autre, peut-être un peu plus informé, répondait que ce congrès n’était qu’une simple rencontre politique destinée à fonder un parti politique parmj tant d’autres. Pour ces jeunes, qui ne connaissent de vie politique que celle d’un pays indépendant, il n’y a pas là de quoi fouetter un chat.
Or le Congrès de Bamako, qui voit la naissance du RDA, n’est pas un évènement banal ; même si son objet immédiat est ordinaire. Le contexte de l’époque, les circonstances de sa tenue, les enjeux politiques et sociaux qui en constituent la toile de fond nous l’imposent comme un fait qui mérite d’être largement connu des jeunes générations d’Africains.
Pour cela, nous voulons d’abord partir d’une présentation de l’état de l’Afrique française au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. C’est un domaine colonial en effervescence. Ensuite il nous faut raconter l’Afrique Noire à Bamako en 1946, celle dont les représentants se rencontrent dans la capitale du Soudan français, celle dont les débats et les éclats de voix permettent de présenter une galerie de portraits de quelques nouveaux leaders politiques négro-africains. Enfin, nous terminerons sur le bilan et les perspectives du Congrès en cette fin de l’année 1946, c’est-à-dire au moment où la constitution de la IVe République française est adoptée et connaît un début d’application. Les principes de la colonisation sont à peine dépoussiérés au moment où les colonisés veulent l’énoncé de principes autres. Il s’agit ici de développer moins une thèse qu’une relation des faits, la restitution d’un climat, le rappel sinon l’exposé d’analyses peu partisanes et nouvelles. à la lumière des documents disponibles aujourd’hui. On ne s’étonnera pas de trouver ici aussi, au détour d’une page. un document ou l’illustration d’une idée, d’un point de vue. Le lecteur dira lui-même si nous avons atteint notre but qui est d’informer et d’aider chacun à mener une réflexion personnelle sur un des grands moments de l’histoire africaine contemporaine.
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